La vierge du grand retour

La supercherie de la Vierge du Grand Retour


Nous allons aborder une des grandes arnaques de l’Eglise catholique martiniquaise en partenariat avec la caste béké (pour ne rien changer, yo adan tout sòs). J’ai découvert ce fait historique en lisant le roman La Vierge du grand retour de Raphaël Confiant. Tout d’abord j’avais cru que c’était le fruit de son imagination mais quelle fût ma colère en découvrant que ce n’était pas le cas. A travers ses personnages, il a brillamment dépeint et surtout critiquer ouvertement cet évènement qui a marqué la société martiniquaise.

Les faits historiques

En 1948, au sortir de la deuxième guerre mondiale, une statue, appelée Notre Dame de Boulogne, fut transportée à travers la plupart des régions rurales de l’Hexagone, déclenchant de vaste mouvements de foule et des conversions spectaculaires. Selon l’Eglise catholique, cette statue, juchée sur une barque, avait échoué sur la plage de Boulogne, ville du Nord de la France, sans qu’on sache sa provenance et depuis, des guérisons miraculeuses avaient été constatées à son contact. En 1948, moment symbolique soit un siècle après l’abolition de l’esclavage, ladite statue se présenta dans la rade de la Française, tout près d’ici donc, toujours posée sur une barque dépourvue et de voile et de moteur.

C’était la nuit et la barque avança vers les quais de ce que nous appelons aujourd’hui le Malecon tandis que pas moins de 40.000 fidèles étaient massés sur la place de la Savane s’abîmant en prières, louanges et autres invocations. Dès le surlendemain, la barque et sa statue prirent la route et passèrent de paroisse en paroisse, à raison d’une par jour ou tous les deux jours, accompagnée d’une cohorte de fidèles exaltés et de prêtres. Ce pèlerinage dura trois mois et passa par quasiment toutes les communes de la Martinique.

Sur son passage, comme en France, des conversions spectaculaires se produisaient : des gens réputés francs-maçons ou communistes se prosternaient subitement à ses pieds, abjurant leurs anciennes croyances ; des mécréants, des ivrognes, voire des criminels de droit commun demandaient humblement pardon à la Vierge, jurant de suivre désormais la voie de l’Evangile. Mais le plus extraordinaire furent les guérisons miraculeuses qui se produisirent sur le passage de la statue. Un seul exemple (tiré de la presse de l’époque) :

« A Case-Pilote, un enfant de quatre ans et demi était dans un état désespéré, par suite de graves lésions pleuro-pulmonaires du côté droit. « Les constatations tant scopiques que radiographiques, conjointement aux signes cliniques, des plus alarmants, écrit le docteur Beauchamp, justifient le pronostic le plus sonore. » Deux autres docteurs essaient un pneumothorax, mais désespèrent de trouver l’enfant. Or le 15 mars 1948, la Vierge du Grand Retour vient à passer à Case-Pilote.

Les parents s’empressent d’aller lui présenter leur enfant au moment où le dais, porté par six hommes vigoureux, le visage épuisé d’avoir marché depuis la commune de Schoelcher mais extrêmement radieux, est transmis aux paroissiens de Case-Pilote. A cet instant précis, l’enfant, qui était prostré sur la poitrine de sa mère, redresse la tête et se met à sourire. Ses parents s’agenouillent aussitôt et entonnent le « Chez nous, soyez reine ! » tandis que mille autres voix la supplient d’accéder à leurs requêtes.

La procession se dirige alors vers l’église de Case-Pilote pour la célébration de la messe des malades et voilà que subitement, l’enfant descend des bras de sa mère, se hisse sur le dos d’un des porteurs et sec met à baiser les pieds de la statue de la Sainte Madone. Ses parents se défont de leurs bijoux et de l’argent qu’ils avaient roulé en boule dans un madras pour les déposer dans le canot qui porte la Madone, aussitôt imités par tous les fidèles. Le lendemain, les mêmes docteurs, par un certificat en bonne et due forme, attestent la disparition totale des lésions. »

Dans chaque commune, en effet, l’arrivée prochaine de la statue dans sa barque provoquait un véritable branle-bas de combat : on nettoyait les rues, décorait les bâtiments publiques, fabriquait des arches de fortune et surtout embellissait l’église où elle serait installée durant la nuit, après la messe d’usage. En conclusion, le martiniquais qui avait déjà très peu suite à la deuxième mondiale, pouvait même donné ses chiques, balan i pa té ni ayen.

Le départ

Après 3 mois de visite sur le dos des gens, il était temps pour la grand miraculeuse de quitter l’île afin de continuer son pèlerinage. Bien évidemment la population fut grandement éplorée. Et exactement comme à son arrivée, juchée dans sa barque dépourvue de voile ou de moteur, la Vierge du Grand Retour fendit les flots noyés dans l’obscurité, disparaissant à jamais au grand dam de la population martiniquaise. 

Or, quelque temps après, patat’sa, on apprenait que la statue de la Vierge avait été découverte, cachée sous une bâche, dans l’entrepôt d’un établissement béké situé non loin du port de Fort-de-France. L’employé qui avait fait cette stupéfiante découverte avait eu le temps d’en parler autour de lui avant d’en informer son patron, si bien qu’il fut impossible d’étouffer la nouvelle. Ce fut une mauvaise nouvelle pour la hiérarchie catholique.

Mais, elle reprit très vite les choses en mains et fit savoir urbi et orbi que, final de compte, l’Eglise de France avait décidé d’attribuer la statue à l’Eglise de la Martinique. La statue était donc revenue chez nous et c’est pourquoi on l’avait trouvée non loin du port.

Adan an pyé kouyon sé nou ki pli mi

L’évêché décida alors d’installer la Vierge du Grand Retour dans une nouvelle paroisse, à Jossaud très exactement, au fin fond de la campagne de Rivière-Pilote, endroit qui était relié au bourg par un méchant chemin de terre, souvent impraticable à l’époque de l’hivernage. Les habitants du lieu, enthousiastes, construisirent une église pour accueillir la statue, cela à coups de main c’est-à-dire sans aide financière d’aucune sorte. 

Une arnaque à la sauce catholique ?

Au cours de son pèlerinage à travers de l’île, un camion-dix-roues, comme on disait à l’époque, suivait la Vierge et sa barque. Les fidèles massés au bord des routes déversaient dans la barque ce qu’ils avaient de plus précieux : bijoux, argenterie, somme d’argent etc… afin de demander des grâces personnelles à la Vierge. 

Il fallait donc, chaque soir s’occuper de ces donations et c’est là qu’intervenaient des débardeurs qui vidaient le canot et remplissaient le camion lequel s’en allait à la nuit tombée vers une destination inconnue. Les gens pensaient que cette destination était l’évêché situé à Fort-de-France, endroit situé parfois à 40 ou 50 kilomètres de la commune où la Vierge avait fait halte, évêché que le camion devait rallier par des routes soit en très mauvais état soit inexistantes car n’oublions pas que nous sommes en 1948, c’est-à-dire il y a un demi-siècle.

La participation des béké

Il faut souligner qu’une fraction de la classe béké avait activement participé à l’organisation du pèlerinage de la Vierge du Grand Retour. C’était l’époque où les relations entre l’Eglise et le monde béké étaient plus qu’étroites. Il ne faut pas oublier que lorsque l’Amiral Robert destitua tous les maires de couleur pour les remplacer par le béké le plus important de chaque commune, y compris à Fort-de-France, l’Eglise ne pipa mot. Bien au contraire ! Ces maires dictatorialement désignés étaient les bienvenus à la table de l’archevêque de la Martinique.

Suite au scandale, une des familles békés qui avait été la véritable cheville ouvrière de l’opération du Grand Retour décida de rentrer définitivement en France alors même qu’elle était installée à la Martinique depuis bientôt trois siècles. Elle vendit tous ses biens, sauf un magasin de Fort-de-France qui revint au fils aîné qui, pour des raisons inconnues, avait refusé de suivre le reste de sa famille.

Un beau jour donc, cette famille béké au grand complet, sauf un seul de ses membres, embarqua, avec armes et bagages, si l’on peut dire, à bord de l’hydravion qui, à l’époque, reliait Bordeaux à Fort-de-France, après seize heures de vol par-dessus l’Atlantique.

Moins d’une heure après le décollage, l’appareil s’écrasa en mer, tuant tous les passagers. A l’annonce de la catastrophe aérienne, personne ne fit de rapprochement avec la Vierge du Grand Retour, même si beaucoup savaient que la famille békée qui y avait péri avait activement participé au pèlerinage. Seulement l’enquête révéla que l’hydravion s’était abîmé en mer très probablement parce qu’on l’avait chargé de bagages et surtout de caisses au-delà du raisonnable, au-delà en tout cas de sa capacité de transport. Que contenaient lesdites caisses que l’on ne retrouva d’ailleurs jamais….

Souvenirs d’enfance

Cela me fait penser que lorsque j’allais me baigner au Vauclin avec ma famille, ma mamie nous disait que sous la statue de la Vierge de la Pointe Faula au Vauclin se trouvait un grand trésor. Elle nous raconta qu’un jour, un pécheur avait découvert dans sa nasse des lingots d’or au large de la côte. Ne voulant pas emporter le trésor chez lui, il le cacha sous la Vierge. Malheureusement, il mourut prématurément et depuis ce jour, le trésor demeura sous la statue. Bien évidemment, personne ne voulait récupérer le trésor sous peine d’une malédiction.

J’aurai tendance à relier ce conte d’enfance à cet évènement, qu’en pensez vous ? Un aveu caché de la crédulité du peuple martiniquais ? Malgré leur foi chrétienne, ils savaient pertinemment que les valises contenaient l’or destiné à la Vierge. Et le destin fit en sorte qu’il soit sous son unique protection et non dans les poches de l’Eglise ?

Les motivations

C’était l’époque où la France voulait renforcer son emprise sur ses colonies suite à la seconde guerre mondiale. La venue et le pèlerinage de la Vierge du Grand Retour durent donc un moyen de raviver la foi vacillante d’une large fraction de la population martiniquaise ou le fait qu’elle commençât à se détourner du catholicisme pour se convertir à l’adventisme lequel adventisme prit son essor à dater de ce moment-là.

L’organisation du pèlerinage de la Vierge du Grand Retour peut être aussi relier à la montée du communisme dans le monde et donc logiquement de l’athéisme. Si les forces alliées, sous la houlette des Etats-Unis avaient vaincu les forces nazies, l’Union Soviétique avait, elle aussi, joué un grand rôle dans la défaite de ces dernières. Partout à travers le monde, l’idéal communiste se développait et, tant en France qu’en Martinique, les communistes avaient porté leur pierre dans le combat anti-nazi.

Rechristianiser donc les populations par le biais de la Vierge du Grand Retour revenait donc à faire d’une pierre deux coups : d’abord, redorer le blason de l’église catholique et revivifier la fois chrétienne ; ensuite, endiguer autant que faire se pouvait la montée du communisme athée.

La malgré la supercherie, ni l’église martiniquaise ni la classe békée ne furent frontalement pointés du doigt ou dénoncés, hormis peut-être par les communistes.

Source : Raphaël Confiant sur Montray Kreyol


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