Les menstruations, symbole de vie et d'interdit
Il fut un temps, dans les cultures matriarcales, les femmes sont honorées, et vues comme représentantes de la Déesse. Le pouvoir de leur fertilité, à la fois pour donner la vie et pour verdir la Terre, est une évidence, de par leur habileté à être menstruées. Cela est respecté et considéré comme sacré. Le sang menstruel a été utilisé à travers les âges comme le fertilisant par excellence pour la terre.
Le sacralité des menstruations
Ménarche, terme issu du grec mên : menstrues et arkhê : commencement, signifie la première période de menstruations c’est-à-dire la première fois où une jeune fille a ses règles.
Les différentes traditions
Au Japon, on célèbre « la première floraison » de la jeune fille par un repas de fête. Quand les invités découvrent les fleurs et les pommes confites rouges qui décorent la table, ils comprennent la raison du banquet. Dans quelques îles japonaises, la fête des ménarches a même plus d’importance qu’un mariage. On mangera aussi du riz teint en rouge.
Chez les Aborigènes d’Australie, les femmes organisent une grande fête pour les ménarches. Elles célèbrent par des danses et des chants la puissance féminine qui réside désormais en cette jeune fille.
Dans une tribu du Brésil, on fait une nouvelle coiffure à la jeune fille qui a ses premières règles. Ses tresses sont coupées, et sa jolie frange montre qu’elle est passée de jeune fille à jeune femme. Parentes et amies reçoivent une mèche de cheveux en souvenir.
Les jeunes filles Apaches sont saupoudrées du pollen de l’étamine de fleurs, lequel représente leur fertilité en plein épanouissement et il y a une longue cérémonie de quatre jours. La tribu Nootka tient une fête pour honorer les ménarches d’une fille, après quoi celle-ci est amenée loin dans la mer et laissée là afin qu’elle nage seule jusqu’à la rive. Une fois qu’elle y est parvenue, elle est reconnue par sa communauté comme une femme, forte et brave et prête à prendre les responsabilités qu’engagent la Féminité – le mariage et l’éducation des enfants.
Dans une tribu du Colorado, le père, debout devant sa hutte, informe fièrement toute la tribu que sa fille est devenue une femme. Une ancienne de la tribu prépare la fumée de cérémonie, en faisant brûler es herbes odorantes, des aiguilles de cèdre et des fleurs de sauge. La jeune fille se penche sur la fumée et implore l’esprit protecteur de la Nature de lui accorder santé et fertilité.
Au Nigéria, on considère que la jeune fille qui a ses ménarches favorise la fertilité. Ce jour-là, elle arpente tous les champs du village et laisse couler sur la terre quelques gouttes de son sang menstruel pour bénir le sol et garantir d’abondantes récoles.
En Europe, dans certaines familles, les ménarches ne sont tout simplement pas reconnues ou accueillies en donnant une… gifle à la jeune fille ! Inversement, et de plus en plus souvent, certaines familles honorent les ménarches de leurs filles par un cadeau (fleurs, parfum, bijoux offert par le papa qui reconnaît ainsi que son enfant est dorénavant une jeune fille) ou un diner entre jeune fille et parents.
Le chamanisme sanguin
Durant le temps des menstruations, les femmes ont une forte habileté à rêver, à avoir des visions, à passer facilement à des états modifiés de conscience. Lorsque les visions de ce temps lunaire sont recherchées, les réponses viennent, qu’il s’agisse de trouver l’emplacement de troupeaux d’animaux ou des solutions à des problèmes sociaux.
Chez les Incas, la déesse lune Mama Kilya, responsable de tous les phénomènes naturels cycliques, était vénérée comme la maîtresse du cycle menstruel.
Chez les alchimistes, l’énergie potentielle du sang menstruel était connue sous le nom de elixir rubeus («élixir rouge»). Cet élixir était, croyait-on, encore plus puissant lorsque généré durant la pleine lune.
Chez les adeptes de certaines écoles de Tantra dite de «Main-Gauche», boire le yonipuspa («fleur de vulve»), le fluide menstruel, est vu comme un moyen assuré d’atteindre la libération.
Dans la Perse antique, la déesse Jaki était responsable des menstruations. Durant les époques patriarcales, lorsque les menstruations obtinrent des connotations négatives, Jaki devint un démon, lequel exhortait les hommes à poser des actes mauvais.
Dans l’Égypte ancienne, les gens portaient une amulette de pierre rouge qui représentait les pouvoirs du sang menstruel d’Isis, la déesse la plus importante d’Égypte. (Le Tyet, peut représenté une image stylisée du yoni de la déesse Isis).
Les Baûles du Bengal
Les Bâuls du Bengal sont un autre groupe de personnes pour lequel les menstruations sont source de joie et de célébration plutôt que de ségrégation, de honte ou de peur. On peut comparer les Bâuls aux ménestrels du Moyen-Âge européen. Leur philosophie comporte des éléments de tradition tantrique et d’hindouïsme. Ils se dévouent particulièrement à la déesse Radha et au dieu Krishna.
Pour cette raison, les Bâuls ne pratiquent que rarement leur rites sexuels en d’autres temps que lors des trois jours et demi de la période menstruelle. Comme on peut s’en attendre d’un peuple dont la tradition est si concentrée sur l’aspect féminin, les Bâuls ont développé des connaissances plutôt accrues concernant les menstruations.
Selon leurs enseignements, le fluide menstruel varie selon les différents temps du cycle. Ils associent les types de sang à trois rivières sacrées de la tradition indienne : le Gange, le Saraswati et le Jamuna. «Jamuna, la sombre, s’écoule durant l’état initial des menstruations et est suivie de Saraswati, de fluide rouge, puis de Ganga, dont la couleur du fluide est plus légère. Chaque type de sécrétion menstruel prend 24 heures à se manifester complètement… Lors de la dernière demi-journée, les sécrétions menstruelles déclinent.
Le rituel mensuel des Bâuls, 84 heures remplies de musique, de chanson, de passion et de dévotion, est connue comme étant «la manifestation de la pleine lune au temps de la nouvelle lune», et son but ultime est de «saisir l’insaisissable», l’énergie unique possédée seulement par les femmes. On dit que cette énergie ne se manifeste que durant les 12 dernières heures des menstruations. En s’unissant à une femme menstruée durant cette période, un homme peut recevoir les pouvoirs de la Déesse, partagé à lui grâce à une femme consentante.
Du sacré au tabou
Pendant des milliers d’années, les mystères du sang féminin étaient une part très importante de la vie de beaucoup de sociétés humaines. Les rituels que les femmes créent pour leur propre bien-être, pour protéger et nourrir leur sensibilité psychique extrême et leur pouvoir durant leurs menstruations et ménopauses, leur maternité, puberté, ont servi à toute leur société, et non juste aux femmes individuellement. Il y a environ 5000 ans, cela s’est perdu à divers endroits, plus notablement en Europe.
Là, la sagesse matriarcale a été dédaignée, et les rituels de menstruations/ménopauses/fertilité qui avaient autrefois été si sacrés ont alors été calcifiés en des règlements, des tabous qui n’ont fait qu’inspirer la honte aux femmes et qui les sépara finalement de leur propre pouvoir, et du pouvoir des mystères du sang.
Diabolisation du sang menstruel
Il y eut un long règne de l’énergie matriarcale sur la Terre. Ensuite, l’énergie patriarcale devint souveraine et élimina tout indice de leadership et de connaissance féminins. La connaissance féminine ne fut transmise qu’à travers les mythes et les légendes, où le principe féminin était identifié comme participant à la vie et sujet percevant de la vie. Il éprouvait sa connexion à la trame de l’existence grâce au processus de la naissance.
«Quand une femme perd du sang parce qu’elle a ses règles, elle sera considérée pendant sept jours comme étant indisposée, quiconque la touchera sera impur jusqu’au soir.»
Lévitique 15 : 19-30
C’est la base sur laquelle la tradition juive considère les femmes impures lorsque menstruées. Les tabous menstruels de la culture gréco-romaine comptaient, entre autres, que le sang menstruel rendait aigre le vin, desséchait les récoltes, faisait tomber les fruits des arbres, émoussait la pointe de l’acier et ainsi de suite – tout un pouvoir!
Aujourd’hui, dans la société occidentale, beaucoup de l’attitude et du langage entourant les menstruations est négatif, on réfère aux menstruations comme étant une «malédiction».
Plusieurs femmes perçoivent leurs saignements mensuels comme étant pénibles et malcommodes. Jusqu’à ce qu’elles souhaitent tomber enceintes. Aussi, à un large niveau, la culture occidentale dénit et réprime notre fertilité et notre féminité, et notre cycle menstruel.
Décrites comme « nocives » par Hippocrate, « malfaisantes » par Pline l’Ancien – qui affirmait qu’elles rendaient stériles toute terre, tuaient les abeilles, enrageaient les chiens et faisaient même fondre le bitume – elles seraient à l’origine de la division du travail, selon la thèse reprise de l’ethnologue Alain Testart.
Ainsi, « l’interdiction symbolique de mélanger les sangs (sang des règles et sang jaillissant) » aurait permis aux hommes de s’attribuer l’extérieur, le pouvoir (l’épée) et le travail sur les matières dures (pierre, bois), cantonnant les femmes à la réclusion (pendant leurs cycles) et aux métiers sur les matières tendres (filage, tissage).
Une « stigmatisation » qui serait encore très prégnante aujourd’hui, selon Elise Thiébaut qui reprend ici des combats féministes très actuels. L’une de ses manifestations étant, par exemple, le désintérêt des pouvoirs publics pour le sujet, au détriment de la santé des femmes. Ainsi des protections périodiques assujetties jusqu’en 2015 à une TVA de produits de luxe alors qu’une femme utilise «entre 12 000 et 14 000 tampons, serviettes et protège-slips en quarante ans de vie mensuelle ».
Elles ne répondent toujours à aucune norme sanitaire stricte « contrairement au shampoing, crème hydratante et rouge à lèvres. »
Pourtant, l’analyse de leur composition a révélé pour certaines des taux de pesticides et de dioxine inquiétants, le « silence et l’opacité » des marques restant entiers sur ce sujet…. » Le temps est peut-être venu, affirme Elise Thiébaut:
« de reprendre enfin le pouvoir sur nos vies et de réhabiliter enfin le sang menstruel en créant nos propres règles. »
Sources:
-Le mouvement matricien
-Le pouvoir alchimique du sang menstruel et de l’union sexuelle par Barbara Marciniak (extraits de son ouvrage Terre, clés pléiadiennes de la Bibliothèque vivante Ariane éditions, 1998)
-Etre et féminité de Florence Perdriel Vaissière : Moon mother mentor, transmettrice du conseil des anciennes, transmettrice du Rite amazonien Munay Ki)
-Temple Yoni Matre
-Science et avenir: Les règles, histoire d’un tabou
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