Un parfum d'alamanda

Un parfum d’alamanda : les mémoires de Marie-Louise


N’ayant pas eu le temps et la maturité pour écrire les mémoires de mes 4 grands-parents, je devais impérativement conter les derniers souvenirs de ma grand-mère maternelle avant que la vieillesse l’emporte.

Valérie RODNEY

Je venais à peine de jeter mon huitième calendrier que la déveine s’abattit blogodo sur mon dos. C’était les années 40, à l’époque je vivais avec ma mère, mes frères et sœurs dans une petite maison modeste dans la commune du Vauclin. Nous étions pauvres mais nous vivions correctement et proprement. Je ne me rappelle plus si ma mère était malade, mais du jour au lendemain elle mourut sans un bruit. Je n’avais même pas eu le temps de l’embrasser une dernière fois

Néanmoins, avant qu’un voisin m’emportât vers la maison de mon père, j’ai pu l’apercevoir au loin une dernière fois. Tandis que mes frères et sœurs issus de d’autres unions, s’en allèrent chez leur famille paternelle respective.

Mon père habitait dans la commune du Saint-Esprit. Il était un savoureux mélange entre la Chine et la Martinique. Il possédait une boutique et plusieurs chevaux. D’après les gens, c’était un homme très important. Il avait certes semé plusieurs enfants dans les environs, mais il avait toujours pris ses responsabilités. En effet, mon père aimait tous ses enfants sans favoritisme. Donc après la mort soudaine de ma mère, je suis allée vivre chez mon père qui était marié à une méchante femme.

Ma belle-mère était une sorcière, ma présence la dérangeait. Derrière le dos de mon père, elle s’attelait à me traiter comme du caca-chien alors que mes sœurs étaient choyées. Mais quand il était à la maison, elle me traitait comme si j’étais sa fille. Tjip, une sorcière hypocrite !

Ma belle-mère m’envoyait à l’école pieds nus alors que mes sœurs avaient des chaussures. Certes il était courant que les enfants issues de familles modestes n’en portaient pas, même pour aller à la messe, faute de moyens. Les chaussures étaient donc un signe de richesse. Cependant ma maîtresse d’école ne comprenait pas pourquoi je venais à l’école pieds nus tandis que mes sœurs avaient de jolies paires de chaussures vernies.

Un jour, une voisine qui fût outrée par ce spectacle, décida d’avertir mon père. Face à ce milan qui se propageait dans toute la commune, mon père entra dans une colère noire. D’après mes souvenirs, il ne supportait pas l’idée qu’on puisse dire qu’il ne s’occupait pas de sa fille. Et donc sur le coup de la rage, il avait pointé son pistolet vers ma belle-mère.

Du jour au lendemain, j’avais une paire de chaussure pour l’école et une pour la messe. Mais ce moment de calme fut de courte durée.

Mon père mourut dans ma douzième année. Peut être une sorcellerie de ma belle-mère pour récupérer la boutique et les biens de mon père. Maintenant que mon protecteur n’était plus là, je fus dépouillée et immédiatement envoyée chez le frère de ma mère au Vauclin.

Tonton Oscar vivait au pied de la montagne du Vauclin. Nous mangions en fonction des récoltes du jardin. Certes, nous étions très pauvres mais nous étions heureux. Tout le voisinage était solidaire. En cas de famine, on n’hésitait pas à partager sa pitance avec son voisin. Mais plus le temps passait plus la vie devenait de plus en plus difficile.

Ne pouvant plus s’occuper de moi, mon oncle m’envoya chez une tante qui avait une boutique au bourg. Il avait espoir qu’elle continuerait mon éducation scolaire et qu’elle m’apprendrait les bonnes manières des gens du bourg. Pour lui, je n’avais aucun avenir dans les bois du Vauclin.

Au début ma tante fut aimable avec moi, mais progressivement elle me transforma en la bonne à tout faire. Je devais quotidiennement récurer le plancher, m’occuper de la boutique, jeter les pots de chambres dans la mer et servir mes cousins et cousines. Et comme je ne pouvais pas tout faire car j’allais à l’école, elle décida que je n’avais plus besoin d’étudier.

Du jour au lendemain je fus déscolarisée afin d’assouvir les demandes pressantes de ma tante. Ce fut une époque très tragique pour moi. Mon père et ma mère me manquaient quotidiennement. Je ne savais même pas où se trouvait mes frères et sœurs côté maternelle. Je me retrouvais seule dans cette déveine pesante.

Un jour, la famille qui habitait en face de chez ma tante eu pitié de mon sort. Madame Moquet-Torcy réussit à convaincre ma tante de me laisser partir vers Fort de France. Elle m’avait trouvé un travail de vendeuse chez les Marsant ainsi qu’une pension chez une honnête dame Man Zozor.

J’avais à peine quinze ans et je me retrouvais seule dans une ville que je ne connaissais pas. Mais au moins l’argent que je gagnais me revenait intégralement.

Je me plaisais bien dans le magasin Marsant. C’était une grande boutique qui vendait des vêtements, des bijoux, des parfums, de la papeterie enfin un genre de Galerie Lafayette local. Mais les clients se plaignaient de moi auprès de la direction car mon visage était toujours sévère. En effet, je n’arrivais pas à sourire car j’étais triste.

La vie n’avait plus d’intérêt pour moi, je me contentais de survivre. Du coup, Mr Marsant me convoqua pour m’expliquer qu’entant que vendeuse je devais sourire. Ne voulant pas perdre ma place, je me forçais quotidiennement à sourire. Et au fur et à mesure, je le faisais naturellement car après tout dans cette misère je m’en sortais plutôt bien.

Quelque mois après, j’ai quitté la boutique des Marsant pour travailler dans une bijouterie. Puis je me suis retrouvée vendeuse dans une grande quincaillerie placée au boulevard Générale de Gaulle. Et c’est dans cette boutique que je fis la connaissance d’un jeune homme de 19 ans qui devint mon époux jusqu’à sa mort. Il s’appelait Mano et coupait des vitres pour les clients.

Mes souvenirs sont tellement vagues sur notre rencontre, mais tout ce que je me rappelle c’est qu’il était très timide. Il n’osait pas m’aborder car il craignait que je le rejette à cause de sa jambe. Lorsqu’il était plus jeune, sa petite sœur était tombée sur sa jambe lors d’un accident de vélo. Après une convalescence à l’hôpital civil, il fit des séances de kiné qui aggravèrent son état.

En effet, malgré le suivi médical, sa jambe avait mal consolidé. Du coup, elle se fractura une nouvelle fois. Et c’est depuis ce jour, que sa jambe droite resta aussi raide qu’un bâton lélé.

Je m’en fichais de sa jambe et de sa boiterie. Tout ce qui m’intéressait était le fond de son cœur. Mais à cette époque, le physique comptait avant tout. La vie était très précaire donc il ne fallait en rajouter en se mariant avec un infirme. Malheureusement, Mano et moi, nous fûmes malheureusement témoin de la méchanceté des gens.

Lors d’une visite de ma famille au Vauclin, une tante ne se gêna pas pour dire haut et fort qu’elle ne comprenait pas pourquoi une fille comme moi voulait se marier à un infirme. Et au lieu de soutenir mon choix, toute ma famille acquiesça la remarque de cette mauvaise langue. Depuis, je pris soins de couper définitivement les ponts avec eux.

Oui, mon Mano trainait sa jambe mais il était le seul qui pouvait soigner mon cœur meurtri. Je n’ai jamais regretté de l’épouser lors de ma dix-septième année.

D’ailleurs, son père Guilbert avait demandé ma tutelle afin d’autoriser mon union avec son fils. Notre mariage fut très modeste, il y avait que nous deux et les parents de Mano. Je vivais toujours en pension chez Man Zozor faute de moyen pour emménager ensemble. C’était comme ça à l’époque…

Tout changea le jour où la mairie de Fort de France commença à bâtir le quartier De Briant. Ces petites maisons rudimentaires permettaient un certain confort aux familles modestes. De ce fait, j’ai immédiatement contacté la mairie afin d’avoir un logement.

Malgré l’étique d’Aimé Césaire, maire de Fort de France, certains de ses collaborateurs favorisaient les dossiers de certaines familles aisées. C’est comme ça que le frère de mon mari qui avait une bonne situation s’installa dans une maison à De Briant. Tandis que nous nous retrouvions sans rien.

Heureusement la chance commença à nous sourire, quand mon beau-frère décida de déménager. Apparemment il n’appréciait pas ses voisins pauvres et sauvages d’après lui. Aussitôt, j’ai sollicité l’aide d’Aimé Césaire lors d’un entretien afin qu’il accepte qu’on reprenne la maison. Sans aucune hésitation il approuva notre candidature. Nous étions aux anges !

Mano travaillait dans un magasin de produits électroniques et moi j’étais vendeuse à la librairie Alexandre à la rue Lamartine à Fort de France. Nous élevions nos trois enfants entourés d’un voisinage solidaire. Ayant un grand terrain, nous avons pu planter un avocatier, un muscadier, un arbre à pain, et pleins d’autres choses pour éviter de trop dépenser.

Notre situation bascula lors de la première année de notre troisième enfant. Le cyclone Edith (1963) s’abattit sans maman ni papa sur nous. Notre toit fut arraché, nos récoltes décimées. Mais malgré tout ce fut, l’occasion de devenir propriétaire.

Après avoir reconstruit bien comme il faut la cité De Briant, la mairie proposa une location-vente à bas prix sur toutes les maisons. Nous avions enfin l’occasion de devenir propriétaires de notre maison et de notre terrain. Grâce au soussou entre collègues, nous avons pu payer les traites, rénover le haut et construire petit à petit le rez-de-chaussée. Toujours grâce au soussou, j’ai pu voyager et découvrir le monde lors des mes premières années de retraite.

Par contre grâce à la bonne étoile de Mano, nous étions devenus propriétaire d’une voiture. Il avait remporté le lot gagnant, une twingo verte lors d’une tombola. Tout le monde fut estebekwé !

Maintenant vivant le dernier chapitre de ma vie, je me dis que ma vie fut au début triste mais que le Bondieu avait mis mon Mano sur mon chemina afin de me redonner la joie de vivre. Malgré mon caractère difficile et mes traumatismes, il a toujours fait en sorte et jusqu’à sa mort de faire passer mes désirs et mes rêves en premier.

Mais maintenant à cause du covid, je redoute de mourir sans pouvoir danser une dernière fois avec mes copines.

Valérie RODNEY et Marie-Louise JEAN-MARIE, née COUREUR


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Un commentaire pour “Un parfum d’alamanda : les mémoires de Marie-Louise”

  1. J’ai adoré lire la petite histoire de ta grand mère.
    Très touchant. Rempli de moment de tristesse et de pauvreté mais comblée par l’amour de Mr Mano.

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