L’histoire du Konpa
Vers 1789, la colonie de Saint-Domingue, qui deviendra Haïti, compte environ 500 000 Africains de naissance ou de descendance, 40 000 Européens et 30 000 affranchis qui coexistent en toute méfiance sous l’impitoyable décret du code noir. En dépit de cela apparaîtra un syncrétisme culturel, dont la langue créole de même que la musique mélodieuse et légèrement syncopée, la danse, la parure et le mode de vie en général deviendront l’expression d’une nation nouvelle.
Mais avant l’avènement de ce monde nouveau, le vaudou permet aux esclaves de différentes ethnies africaines de se fédérer. Claude Dauphin raconte :
«Le vaudou s’est constitué à partir de différentes tribus et nations africaines qui se sont retrouvées en Haïti et qui ne pouvaient se comprendre. Qu’avaient-elles en commun? Des pratiques et des rites religieux. On a compris qu’en faisant des cérémonies ensemble, les gens arrivaient à créer des formes d’entente. Ainsi, dans une cérémonie en 1791, les différentes nations africaines ont cru entendre un appel à se libérer. Ce fut le point de départ de l’insurrection contre l’esclavage qui va amener l’indépendance en 1804.»
Le pays nouvellement créé se cherche un emblème. La méringue finira par jouer ce rôle :
«Avec le vaudou, ça devient le marqueur identitaire pendant une centaine d’années. Cette danse nationale, qui est à l’origine du konpa, a représenté depuis le milieu du XIXesiècle un lieu de fierté. Il y a une méringue de danse populaire, une méringue carnavalesque, une de concert. Tout le monde se reconnaît dans ces rythmes qui ne sont pas sacrés», précise le musicologue.
Le konpa a pris naissance à partir du Tipico Cibano, un mouvement lui-même issu d’un lent métissage entre la culture haïtienne et dominicaine, apparu dans la zone frontalière, dans les montagnes du Cibao. Si l’on recherche un père pour le konpa, on peut prendre Némours. Il le mérite, mais ce dernier n’a pas inventé un rythme, il l’a adapté. L’appellation Konpa émerge en à 1955, mais pour le rythme il faut remonter beaucoup plus loin.
Le konpa au milieu des années 1950 : un genre à l’allure vive, intrépide et sans fioriture, contrairement au style gracieux et langoureux de la méringue. Durant un demi-siècle, le konpa devient le genre national par excellence, mais selon l’auteur, il traverse une crise d’identité sans précédent devant l’éclatement et la mondialisation des genres populaires :
«J’ai voulu en conclusion attirer l’attention sur cette diversité qui est de notre époque. Un pays comme Haïti en plein coeur de l’Amérique ne peut pas dresser des frontières pour se mettre à l’abri de quoi? Et d’ailleurs, la culture qui est celle des Haïtiens a-t-elle besoin tant que ça d’être protégée? Est-ce qu’elle n’a pas des racines assez profondes pour exister ou continuer de se développer et se fusionner au monde?
Musicologue, théoricien et historien des pédagogies musicales, Claude Dauphin est professeur associé à l’UQAM. Il signe un ouvrage qui porte sur la musique haïtienne et la diversité de ses pratiques. Entre l’essai et le guide de référence, il aborde plusieurs phénomènes, de la période coloniale de Saint-Domingue à nos jours, en traitant de la musique du vaudou, des instruments coutumiers de la musique paysanne, du conte chanté, de la musique populaire urbaine, de la musique officielle et de la musique classique ou savante.
Au long du parcours, l’auteur explique les principaux courants et met en perspective les grands marqueurs identitaires du pays en analysant leur sens dans l’histoire. Tous les genres sont touchés, de la méringue au konpa et à l’éclatement contemporain. Il s’agit d’une œuvre capitale pour qui s’intéresse à Haïti et la richesse de sa culture.
La première évolution
Au début des années cinquante, Port-au-Prince est une ville touristique, avec ses nombreux hôtels restaurants, casinos et boîtes de nuits.
De grands ensembles musicaux fleurissent dans la capitale haïtienne, citons par exemple « L’orchestre Septentrional », « Edner Guignard and his El Rancho Hotel Orchestra » ou le fameux « Jazz des Jeunes ». Leur répertoire est varié et va de la meringue en passant par la musique afro-cubaine ou une musique plus occidentale ; la section rythmique s’inspire la plupart du temps des rythmes vaudou (Ibo, Petwo etc.).
Nemours Jean-Baptiste (né en 1914) et Weber Sicot (né en 1934) tous deux saxophonistes font partie de cette nébuleuse de musiciens. Le 26 juillet 1955 ils forment l’orchestre « Coronto International » avec les musiciens : Julien Paul, Monfort Jean-Baptiste, Anulis Cadet, Mozard Duroseau et Edzer Duroseau. Quelques mois plus tard Weber Sicot forme son propre groupe baptisé « Latino ».
Nemours Jean-Baptiste se retrouve alors à la tête de l’orchestre qui deviendra peu de temps après l’« Ensemble Au Calbasse » (du nom d’un night-club de Mariani dans la banlieue sud de Port-Au-Prince) puis l’« Ensemble Nemours Jean-Baptiste ».
Il crée alors son propre style musical finalement plus proche du merengue de la république dominicaine que de la meringue haïtienne, qu’il nomme « Kompa Direct ».
Le nombre de musiciens est ramené à l’essentiel, l’orchestre devient alors plus mobile et moins difficile à diriger.
Dès son origine, le Kompa est en décalage avec la musique folklorique haïtienne par ses influences, d’autant plus qu’il s’agit d’une musique urbaine dans un pays où la grande majorité de la population habite les campagnes. Il n’y a aucun lien avec le vaudou dans le « Kompa Direct » de Nemours Jean-Baptiste.
Son mouvement est le fruit d’une volonté de renouveau dans la musique haïtienne de l’époque, c’est une musique volontairement positive, légère.
Deuxième grande évolution
Le 22 décembre 1965 est un jour à marquer d’une pierre blanche. Il s’agit de la date de la formation du groupe les Shleu-Shleu qui allait amorcer la seconde grande évolution du konpa. La poignée d’écoliers originaires du quartier de Bas Peu-de-chose, sous l’influence de Dada Jockaman, bouleversa totalement les donnes et horreur suprême, détrôna le créateur du compas direct dans le cœur des mélomanes.
Cette génération montante de jeunes musiciens subissait à cette époque l’influence des Beatles et de la génération “yé-yé” française. “Ibo Combo”, la première version des années 60, jouait déjà un rythme konpa très élaborée, diffèrent de celui de Némours, et qui aboutira au Magnum Band et au Caribbean. Puis arrivèrent des 1966, les Ambassadeurs, les Difficiles de Pétions Ville, les Fantaisistes de Carrefour, les Loups Noirs, les Shelberts, les Shupa-Shupa, les Corvington, les Vikings d’Haiti, le Skah-Sha, le Bossa Combo, les Incognitos devenus plus tard Tabou Combo…
A cette époque là, la scène musicale haïtienne était remplie d’une centaine de “mini-jazz”. Chaque quartier avait pratiquement son groupe. Il y avait les Pachas au Canapé-Vert, les Légendaires de Delmas, les Gentlemen de l’Aviation, les Gars de Sainte-Cécile, etc.. La plupart ont eu une vie éphémère. Ils arrivaient avec une chanson qui passait pendant un certain temps à la radio, et puis on ne les entendait plus.
La Vague Cuivre et Orgue
Vers la mi-70, la rivière antillaise débarqua sur la scène musicale, les Gmax, les Exiles on et autres… Les musiciens haïtiens n’avaient plus le choix, ils étaient obligés de s’adapter à nouveau
A cette époque, les Difficiles de Pétion Ville, en se changeant en DP Express, ajoutèrent une orgue à leurs instruments. Scorpio et Robert Martino, des instruments à vent. Puis les deux se sont adaptés à ce que faisait l’autre. Puis d’autres groupes emboitèrent le pas.
Le Konpa était alors à son apogée, début 80, avec DP Express, Scorpio, Loups Noirs, Bossa Combo, Frères déjean, Accolade, etc. Ce fut l’âge d’or de notre Compas.
La Vague électronique dite Nouvelle Génération.
Mi-80, dans le tumulte des évènements politiques, et sous l’influence “électronique” du zouk, le konpa allait connaître de nouveau une petite révolution. Même les Tabou Combo, Skah-Shah, Tropicana, Septentrional et autres durent s’adapter.
Les haïtiens apportèrent le konpa aux Antillais. Kassav est revenu avec le zouk qui a influencé la nouvelle génération. Et aujourd’hui, on retourne le même cheminement avec Zouk-Love et konpa-Love.
A l’avant-garde, des formations comme Zéklè et Top Vice émergèrent dans ce bouillon d’énergie et de technologie. D’autres suivirent leurs traces: Skandal, Sakaj, Papash, Teiomec’s, Ozone, Laraj, pour ne citer que ceux-là. Certains traversèrent, parfois au prix de grands revirements, des années 90 et même le tournant du siècle pour arriver jusqu’à nous: Zenglen, Mizik-Mizik, Djakout-Mizik, Zin, Phantoms, Lakòl, Fokus, Sweet-Micky, T-Vice, K-Dans, etc.
Durant cette longue période le konpa se maria avec d’autres courants musicaux, notamment le Troubadour ( Haïti twoubadou), le Rap et le Tagga (Haïti Rap et Ragga, King Posse, Top Adlerman …) Et pour montrer que, de perturbations politiques en bouleversements musicaux, notamment avec la jeunesse ayant à sa tête les Djakout, T-Vice, Zenglen, Carimi, Les Nu Look, et autres Kreyòl La Krezi Mizik, le style musical créé par Némours Jean Baptiste à la fin des années 50 est prêt à affronter un autre demi- siècle.
Sources:
–La musique haïtienne
-Le devoir
-Histoire du style musical d’Haïti de Claude Dauphin
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