Le kal des mornes

Le Kal des mornes


Une pluie sans manman s’abattit sur l’hôpital universitaire de la Martinique. Il était à peine 7h15 du matin que Corinne rouspétait. Le patient de la chambre 12 du service de neurologie devait se rendre au bloc avec une sonde urinaire. Normalement, Corinne refilait ce genre de besogne à la nouvelle recrue, mais pour ne rien changer, elle n’était toujours pas à son poste.

L’infirmière proche de la retraite, n’arrivait toujours pas à saisir les raisons du je m’en foutisme qui régnait dans son service. La relève n’arrivait jamais à l’heure ou la disparition semblait être le mantra des internes, enfin bref, le chaos régnait depuis l’épidémie. Néanmoins, la continuité des soins perdurait tant bien que mal.

Corinne traîna les pieds en se dirigeant vers la chambre 12 malgré l’urgence. La demande de transport étant faite, il fallait faire vite avant l’arrivée des brancardiers. En sous-effectif, ils ne pouvaient pas attendre, ni même bailler quelques paroles sucrées aux belles soignantes du services.

Ne connaissait pas le nouveau patient de la chambre, c’était donc l’occasion pour l’infirmière de se présenter avant de lui mettre la fameuse sonde urinaire.

-Bonjour M.Robinel, je suis Corinne, l’infirmière qui va s’occuper de vous avant de monter au bloc. Comment allez-vous ce matin ?

M.Robinel était un vieux papi de 91 ans qui était hospitalisé depuis hier pour une suspicion d’anévrisme. Sa bonne humeur matinale détendit Corine légèrement irritée suite aux retard répétés de ses collègues. Elle lui expliqua le protocole d’hygiène ainsi que la mise en place de la sonde urinaire. Le patient lui donna son accord pour la continuité des soins.

De ce fait, l’infirmière prépara soigneusement son plateau. Puis toujours avec l’accord du patient, elle retira sa couche pour commencer la désinfection. C’était une étape cruciale pour éviter toutes infections. Mais lorsqu’elle découvrit le sexe du patient, le choc foudroya blo son cœur.

Corrine Pellage n’était pas le genre de soignante qui s’attardait sur les partie intime des patients. Professionnelle, jamais elle ne fit de blague coquine sur leur physique, jamais. Même si, il lui arrivait de temps en temps de loucher sur les rares jeunes hommes hospitalisés.

Mais en ce mardi pluvieux, elle sentit que ses yeux allaient se détacher de leurs orifices pour se jeter à terre, tellement que la vue fut étonnante, voir sidérante. Le membre de M.Robinel avait une longueur et une grosseur qui défiait les lois de la nature. Il était debout, aussi droit du temps de sa jeunesse et semblait interpeller l’infirmière. Sa couleur bleutée était bien le signe.

-Bondieu, c’est le Kal des mornes, psalmodia Corine comme une incantation ou un maléfice. Il existe donc !

-Et oui madame en chair et en os. Toujours là pour vous servir, répondit tendrement le vieux monsieur.

Voyant l’ébahissement de l’infirmière, M. Robinel brisa le silence pesant en racontant son histoire. Vieux et avachit, il était tant pour lui de se confier.

Yékrik !

Dans ma jeunesse, j’étais un beau garçon mais j’avais les poches crevées. Heureusement, ma belle gueule me sauvait à chaque fois de la misère. Je trouvais toujours une femme soutireuse qui m’hébergeait, me nourrissait en échange de quelques nuits aphrodisiaques. 

J’étais un grand menteur mais jamais, je blaguais sur la jouissance de la femme. Elle pouvait être laide, belle, grosse, maigre comme un sac d’os, vieille ou jeune, qu’importe, je m’attelais toujours à les faire jouir de plaisir. Pas comme ces imbéciles qui kokè sans prendre en compte les désirs de sa partenaire. Tjip !

C’était ma priorité avant ma propre satisfaction. C’est pour ça que j’avais la côte auprès des femmes. Les jaloux pensaient que ma réussite provenait de mes cheveux plats hérités de mon grand-père zendien. Tjip, ils n’avaient pas complétement tort, faut dire qu’à cette époque les dames étaient comparaison.

Mais en réalité, c’étaient mes doigts magiques qu’elles convoitaient.

Une en particulière, Héloïse, voulait me sucer avec les dents comme une sucette pomme-cannelle. C’était une belle négresse au regard foudroyant. Ses rondeurs bien répartit lui conférait une allure qui éveillait tous mes sens. Mon cœur n’arrêtait pas de djoudjouké en la voyant. Malgré notre attirance, je l’évitais car elle était mariée.

Faut pas croire que j’étais du genre à respecter ce genre de simagrée, awa, mais cette fois ci, la prudence était de mise, car son mari était Zépol. Un homme qui avait de larges épaules pour pouvoir commercer avec les esprits des cimetières.

Quand elle passait près de moi, je sentais mon kal qui se tordait dans tous les sens, il réclamait la koukoun de Man Héloïse. Je pouvais même l’entendre hurler : Bondié manjé mwen ! Vlopé mwen ! Son parfum, mon dieu, son parfum d’hibiscus et de muscade me tourmentait. Quand mon regard croisait le sien, elle léchait furtivement sa lèvre supérieure.

Une invitation oui, une invitation à la dévorer. Mais je résistais, heureusement, mon flair me remettait dans le droit chemin, fanm a pwoblèm ki té la !

Un soir après la veillée funéraire tardive de mon oncle, je préférais retourner chez moi à pied au lieu de prendre mon cheval. Il était plus utile à mon père qui n’arrivait plus à marcher correctement à cause du clairin. La soirée était fraîche et les animaux nocturnes bambochaient. Depuis que la diablesse avait été chassé par tonton Gaston, nous pouvions rentrer chez nous sans encombre.

En humant l’odeur sucré des manguiers, je marchais tranquillement en fumant une cigarette. Puis subitement sur ma route, je sentis l’odeur envoutante de Man Héloïse. Elle portait juste un drap blanc qui épousait voir kokè toutes ses courbes. Antatay ! J’aurai dû fuir en mettant mes vêtements à l’envers.

Fanm a pwoblèm ki té la ! Mais mon kal la réclamait, c’était plus fort que moi !

Je l’ai prise sans aucune parole sous un manguier. Dans un élan d’excitation, j’avais déchiré son drap. Mes doigts frétillaient en pianotant sa landjèt. Je lui arrachai des gémissements de plaisir qui scandalisaient la faune. Ciel, lannuit, mon kal réclamait sa koukoun, sa reine, sa dévoreuse.

Cette nuit-là, je lui ai donné mes meilleurs coups de rein. J’ai joui de tout mon être. Elle m’avait asséché comme une feuille brûlée sous un soleil de midi. Une larme jaillit de ses beaux yeux tout comme moi, balan man té kontan. Hélas, désillusion :

-Oh mon beau nègre, poutji ! Poutji, pleura-t-elle de tristesse.

-Je t’ai fait mal Héloïse ? Pourquoi pleures-tu ? Je n’aurai pas dû ? Questionnai-je perturbé par sa réaction.

-Oh mon beau nègre, ce n’est pas de ta faute. J’ai cru que tu pouvais me libérer.

-Te libérer de quoi ?

-De la punition de Zépol. Il a maudit ma koukoun. Aucun homme ne pourra plus jamais me faire jouir.

-Mais je t’ai pourtant fait jouir avec mes doigts. Tu as gémi sous mes coups de reins, répondis-je désorienté.

-Oh mon Charles, il fallait bien surjouer pour espérer. J’avais cru sincèrement que tu serais mon sauveur.

Ciel, lannuit, mon cœur fut foudroyé par ces paroles. Si mon kal pouvait, il se serait détaché de mon corps pour se terrer dans les entrailles de la terre. Je fus prostré sur place pendant deux jours. Moi Charles Robinel, j’avais failli à ma réputation. Je n’avais pas honoré le serment des hommes Robinel, celui de faire jouir les femmes au lieu de les faire pleurer.

J’ai bien failli être interné dans un institut pour ababa. Heureusement mes oncles m’avaient donné à boire un remède contre le saisissement. Je fus sauvé in extrémiste mais pas mon égo.

Quelque mois après, dans un élan de folie, je m’engouffrai dans les bois de Saint-Joseph à la recherche de la Guédé Isabelle, un esprit de la mort qui y rodait. Selon tonton Pernutien, elle était insatiable, jamais satisfaire, elle adorait koké. Guédé Isabelle était souvent visité par des initiés qui se battait pour la satisfaire quelques instants.

En guise de punition pour leur piètre performance, elle les maudissait. Et de temps en temps, elle offrait des dons afin de ne pas trop les repousser.

Déterminé, j’hurlais son nom comme un enragé dans les bois. Guédé Isabelle vint rapidement à ma rencontre, complétement insatiable. Quant à moi j’étais prêt à la chevaucher ou à me laisser piétiner par cet esprit de la mort. J’étais nu devant elle sans aucune sorcellerie. Je n’avais pas pris de ben pwoteksion, ni jeûner, ni ingurgiter le viatique du grand coqueur.

D’ailleurs, j’avais même arraché la médaille de la Vierge-Marie de mon baptême et mon gad-ko. Je voulais défier la mort grâce à mon kal. Au bout de plus de cinq heures d’ébats passionnés et sportifs, Guédé Isabella semblait satisfaite.

Elle m’offrit un don, celui d’avoir un gros kal légèrement bleutée qui pouvait guérir et délivrer les femmes. Puis elle me susurra dans les oreilles :

-Mon lapis lazuli, va semer ton kal. N’épargne aucun morne.

Et ce que je fis, en parcourant tous les mornes de l’île. Grâce à mon lapis lazuli, j’ai guéri la femme de la tristesse en revigorant son feu intérieur. J’ai soigné les cancers de l’utérus et des ovaires, j’ai stimulé la fertilité, j’ai apaisé les symptômes de la ménopause, j’ai fortifié le périnée, soulagé la vessie, tant de miracle.

C’est lors des jours de lessive, qu’elles se réunissaient pour transmettre les miracles du Kal des mornes. Je devenais le héro local de la gente féminine. Malgré ces louanges et chansons d’amour sur ma personne, je fuyais toujours Man Héloïse. Une peur d’échouer une seconde fois.

Elle vint à ma rencontre une nuit sans lune sous l’apparence d’un dorlis. Se métamorphoser ainsi, lui permettait de me rejoindre rapidement au Morne des Esses. C’était enfin le moment fatidique, je devais honorer le serment des hommes Robinel.

Nous nous sommes dévorés cette fois ci sous un jujubier sans aucune parole. Hélas, encore une fois, ce fut un échec. Malgré mon don sa koukoun était toujours maudite. La désolation s’abattit sur moi. Je fus transporté en urgence chez les bonnes sœurs, on disait que leur prière délivrait.

Au bout de trois mois de convalescence, je repris ma route pour le plus grand bonheur de ces dames. Je dédiai ma vie à les soigner à défaut de ne pas avoir pu briser la malédiction. Mon lapis lazuli n’est plus aussi scintillant qu’avant mais, il demeure toujours vaillant.

Yékrak !

Corinne écouta attentivement l’histoire de son patient en écarquillant les yeux. Il était donc le Kal des mornes, le héros mythique qui avait délivré les femmes de sa famille. Une légende qui s’avérait être vraie.

-Merci M.Robinel de m’avoir raconté votre histoire. J’en suis émue car je sais comment briser la malédiction de Man Héloïse.

-Comment ? Hurla le grand-père.

-Juste avant de lui faire l’amour sous un arbre, il fallait boire une tisane composée de trois feuilles de cet arbre. Malgré toute votre bonne volonté, il était impossible de briser cette malédiction.

-Qui êtes-vous madame ?

-Ma grand-mère était une mambo (prêtresse vaudou) .

-Tout s’explique. Maintenant pressons nous j’ai un examen à faire. Je dois vite me rétablir pour retrouver Héloïse.

-Elle est toujours vivante ?

-Oh que oui, on dit qu’elle a marchandé avec un diable pour rester en vie. Je dois faire vite, elle m’espère.

Valérie RODNEY

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Illustration de Aurélie-Victoire Celanie


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