La diablesse de mes nuits

La diablesse de mes nuits


Depuis l’entrée en vigueur de la loi qui autorisait le mariage homosexuel, le maire du Carbet en célébrait deux par mois devant certains parents mécontents. Heureusement, l’amour qu’ils portaient à leur progéniture atténuait la désapprobation. Mariage homosexuel ou hétérosexuel, tous ces couples avaient le droit de jouir des belles déclarations enflammées de M. le Maire.

Pour sûr, les Carbétiens appréciaient le dévouement de l’élu sans affaire de moralité religieuse. Cependant, ses camarades du groupe de prière du dimanche n’appréciaient pas sa largesse d’esprit, surtout Mme Adelaïde qui prêchait que l’homosexualité était un péché mortel alors que tout le monde savait qu’elle aimait lécher les pieds de Suzette, une des nombreuses choristes de l’église. Cependant, personne n’osait y faire allusion, sinon qui s’occuperait du catéchisme, de l’entretien de la paroisse, de la comptabilité, des kermesses et j’en passe ?       

Ni même Rémilien, le frère de M. le Maire récemment converti à un courant de la spiritualité kamite, ne tolérait cette orientation :

— L’homosexualité est le fléau du Blanc, Henri. À l’époque de nos glorieux ancêtres en Égypte, pa té ni sa !

Il fallait le voir essayer de déchiffrer les hiéroglyphes et dévorer des encyclopédies sur cette grande période historique alors qu’il ne savait strictement rien de l’histoire de son île, ni même écrire et lire correctement le créole. Pour sûr, cela amusait M. le Maire.

Heureusement, l’élu s’en foutait pas mal. Quel que soit l’amour devant lui, il se devait de le célébrer avec joie et allégresse. Une célébration qui l’avait particulièrement marqué était celle de Man Quenette et de Mme Wouj.

Man Quenette était une petite vieille dame de 85 ans au dos courbé qui s’unissait à une jeune femme dont l’odeur annonçait le dérangement. Oui, le dérangement dans le pantalon de M. le Maire. Son koko aurait pu déchirer son beau pantalon bleu marine, repassé avec tendresse par son épouse. Péloponnèse Wouj avait une peau claire qui réhaussait le rose bonbon de sa pulpeuse bouche.

Sa longue robe rouge enflammait ses yeux noirs ainsi que ses larges hanches. Elle dégageait le vice, la luxure et la gourmandise.  Le couple ne passait pas inaperçu, en effet. M. le Maire célébra le mariage hébété devant Mme Wouj.

Pendant qu’il débitait tout son flot de paroles, il se demandait pourquoi cette belle femme à la beauté diabolique épousait Man Quenette. An blag ki té la ? La vieillesse avait déjà rongé la vue de Prune Quenette ! Elle était déjà incontinente, portant une couche XXL en promotion du comptoir médical de M. Lézin. La vieille dame sentait la pisse à plein nez. Mais rien ne pouvait altérer le doux regard que posait Péloponnèse sur sa compagne.

Sans aucun doute que l’élu était face à un amour qui rigolait des macaqueries de la vieillesse. Prune et Péloponnèse se marièrent avec simplicité devant leurs deux témoins, les fils de Man Quenette. M. le Maire pouvait sentir les frères dégouliner de sueur et de bave devant leur belle-mère. Mais chacun se retenait pour le bonheur de leur mère. Quelle drôle de famille oui !

De ses 30 années à la mairie du Carbet, Henri Éloi garda de nombreux souvenirs. Malgré son Alzheimer qui lui jouait des tours, il se souvenait du mariage de Man Quenette tout en confondant le prénom de ses propres enfants. Certains jours, il pouvait oublier qu’il était un homme. Henri pouvait se mouvoir en imitant un poisson dans un bocal ou sauter comme un kangourou.

À bout de force, ses enfants le laissaient vagabonder dans le quartier car il ne pouvait pas rester enfermé chez lui. Par précaution, ils habillaient leur père tout de blanc en ayant pris le soin de coudre leur numéro de téléphone dans les poches. Les Carbétiens avaient l’habitude de le voir déambuler dans les rues en sautant ou en essayant de voler, mais en vain.

Tant qu’il n’emmerdait pas les passants, on ne prenait pas la peine d’alerter ses enfants. Cependant, on le gardait à l’œil en cas d’accident. C’était la moindre des choses pour un des meilleurs maires de la commune.

Un jour comme les autres, l’ancien maire galopait dans le cimetière. Aujourd’hui, i té an chouval twa pat. Klak klak klak, tout content, il longeait les tombes en lâchant des hennissements. Cependant, il s’évertuait à ne jamais déposer à terre son pied gauche. Subitement, il arrêta sa course. Le vieil homme reconnut Mme Péloponnèse Wouj, la femme qui avait troublé certaines de ses nuits.

Elle était debout en tailleur rouge devant la tombe de sa défunte épouse. Drôle d’habit en ce jour bien ensoleillé. Pourtant, elle ne semblait pas mourir de chaud ni même transpirer. Non, Péloponnèse était sereine, caressant tendrement les carreaux immaculés du caveau.

­— Que je suis content de vous voir Mme Wouj, s’exclama le vieil homme. Il m’est arrivé de penser à vous, surtout à votre parfum. Un bonbon de caramel oui !       

— Bien le bonjour M. le Maire, comment allez-vous ? À ce que je vois, vous êtes un chouval twa pat !

— Et avec un peu de chance, demain je serai un iguane, répondit-il en ricanant de sa propre personne.

Cela fit sourire la belle femme en rouge.

— Elle vous manque, n’est-ce pas ?   

— Oh oui, tous les jours. Foutre que j’ai aimé ma Prune.     

— Je ne veux pas paraître blip Madame, mais j’aimerais connaitre votre histoire.   

— Mon histoire ?        

— Oui, votre histoire. Comment une femme comme vous a pu épouser une vielle dame comme Man Quenette ? L’amour n’a pas d’âge et ne fait pas de manière, mais votre union fut quand même surprenante. 

— Oui en effet, je le concède. Puisque j’ai un peu de temps, je veux bien vous raconter mon histoire.

Péloponnèse invita le vieil homme à venir s’assoir sur la tombe de Man Quenette afin de lui conter sa longue vie de diablesse.

« Je suis née un soir de pleine lune sous un quenettier. Le maître de l’habitation m’avait râlé derrière le pied pour abuser de mon innocence de jeune esclave. Pourtant, j’étais sa bâtarde de fille qu’il avait eu avec sa cuisinière. Cette nuit-là, je l’avais tellement maudit ainsi que tous les hommes que je me suis transformée en diablesse. Apparemment, ma complainte avait été entendue par un esprit sanguinaire qui passait dans les environs.

D’ailleurs, j’ai planté mes dents acérées dans le cou de mon père. Je lui en avais même arraché un bon morceau ; il en mourut étouffé dans sa propre honte. Bien que le sang paternel m’ait répugnée, je me délectais volontiers de celui de la gent masculine. Plus ils étaient pauvres, plus ils avaient un gout sucré. Ils avaient beau essayer de me contrer en fumant une cigarette ou en mettant leurs vêtements à l’envers, rien ne pouvait me résister.

Je les aguichais en étant la femme de tous leurs fantasmes. Ils raffolaient de la femme à la peau claire, presque aussi blanche que celle de la maîtresse de l’habitation.
Je leur murmurais des mots doux tout en caressant leur pénis. Je léchais leurs tétons pour mieux les arracher par la suite. Avec le temps, je fus nommée « la Diablesse du Nord ».

Une belle époque où je n’avais pas encore une jambe qui se transformait en pied de bouc à partir de minuit. Une punition que m’a infligée Mariemmen, cette saloperie de divinité hindoue (Pawol pou makrel 1 : les lamentations de la diablesse).

J’ai parcouru l’île en quête de sang frais malgré cet inconvénient. J’avais une préférence cette fois-ci pour les alcooliques. Le petit arrière-gout de rhum blanc me réchauffait la gorge. De toute façon, les hommes étaient trop préoccupés par la rondeur de mes seins ou par la profondeur de ma gorge pour s’en soucier. Je me rappellerai toujours d’Yvan.

Un des rares qui avaient léché avec avidité mon pied de bouc. Bondié, faut aussi que je te raconte ma rencontre avec la Vierge Marie en personne. Fiche que nous avions bien rigolé en bambochant lors du carnaval de Saint-Pierre.

Dommage que tu n’aies pas connu cette belle ville avant les imbécilités de M. Pelé (Pawol pou makrel 2 : la bamboche de la diablesse). Tjip, maintenant cela n’a plus d’importance.

Pendant un certain temps, je n’avais plus besoin d’écumer les bars, les soirées, les fêtes d’anniversaire ou encore les mariages à la recherche de nourriture. Cette liberté était un merveilleux cadeau de la Vierge Marie. Elle m’avait offert des graines mystiques qui étouffaient drastiquement ma faim (Pawol pou makrel 2). Tjip,n’empêche man pa sa wè djol-li !

Mais je n’étais plus obligée d’écouter les regrets ou la douleur de ces hommes en mal de confiance. Certains tachaient ma belle robe rouge en pleurant ou en implorant un dieu qui avait mieux à faire que de les écouter. Plus ils étaient foncés de peau, plus Dieu les toisait.

Je pouvais enfin me reposer, profiter de ce que l’île pouvait m’offrir. Cependant, je n’étais pas oisive. J’ai exercé plusieurs métiers pour découvrir les différentes facettes du quotidien. D’ailleurs c’est en travaillant aux pompes funèbres de M. Juvesco et Fils que j’ai rencontré ma Prune. Elle avait à peine 20 ans tandis que moi je trainais deux siècles derrière mon dos.

Elle s’occupait avec entrain de l’organisation des funérailles. Quant à moi, je m’occupais deux fois par semaine de la comptabilité de l’entreprise. Prune était une fille banale dotée d’un bol front et d’une bouche pincée. Elle riait niaisement et me semblait être une sainte-nitouche. Tout ce que je détestais. D’ailleurs, je lui disais à peine bonjour.

Mais un jour, M. Juvesco m’annonça que Prune était souffrante. Apparemment,
cette imbécile avait eu la mauvaise idée de s’allonger dans un cercueil pour y faire la sieste.
Cela ne posait pas problème aux défunts si on s’allongeait la tête vers le nord. Mais Prune avait fait le contraire.

À force d’écouter les évangiles du prêtre, elle n’avait pas acquis ce genre de savoir. Le soir même, les défunts étaient venus ronger ses orteils de pieds. Depuis, des terribles plaies suintantes pourrissaient ses jambes. Il fallait faire vite pour éviter une amputation.

Connaissant mon petit secret, M. Juvesco avait sollicité mon savoir. Je ne pouvais pas lui dire non car il m’avait toujours bien traitée, comme si j’étais sa fille malgré mon passé tumultueux. Jamais un regard déplacé sur ma personne, non jamais.

Ce fut donc avec patience que j’ai baigné les pieds pourris de Prune dans une infusion de glycéridia et pompon soldat. Puis je les ai massés matin, midi et soir avec du beurre de mangue mélangé à trois gouttes de son sang menstruel. Pendant que je la soignais, je découvrais vraiment Prune Quenette. Une jeune femme rieuse de la vie.

Une femme qui avait pu sonder les profondeurs de mon âme en quelques jours. Pour la première fois de ma vie, j’avais raconté à quelqu’un ma mésaventure sous le quenettier ainsi que les conséquences. Nous en avions été bouleversées.

Après son rétablissement, Prune me soigna avec amour et tendresse. Avec ses petits doigts délicats, elle massait ma landjèt en la badigeonnant d’huile de coco. Je pouvais en pleurer de plaisir. Une folie suave qu’elle léchait et tapotait avec sa langue. Elle me mangeait littéralement. Notre amour à l’abri des regards nous consuma pendant près de trois belles années.

Mais un jour, la faim me tirailla. Ma gorge réclamait cette fois-ci le sang des toxicomanes. Ne voulant pas que ma Prune assiste à ma transformation sanguinaire, j’ai quitté la Martinique sans même un aurevoir. Je me suis installée sur l’île de la Barbade en quête de proies.

Pendant mon absence, Prune plongea dans un gwo pwèl tout comme moi-même. Mais au lieu de sombrer dans la mélancolie comme elle, je nageais dans des bains de sang. C’est cela qui m’a maintenue à flot.

Le temps passa et cicatrisa les blessures que je lui avais infligées. Prune se maria avec Gaston, le meilleur ami de son cousin. Au bout d’un an d’union, elle lui bailla une paire de jumeaux, Francis et Pierre-Yves. Quant à moi, je parcourais les îles de la Caraïbe en quête du sang des puceaux. Je pouvais en croquer trois par nuits.

Lors d’une nuit sans étoile, j’ai sucé avidement le sang de Ricardo. Il était adossé sur un grillage tandis que je lui mordais l’entrecuisse. Quelques minutes après, à mon plus grand étonnement, ma faim se dissipa. La soif ne fendait plus ma gorge. Ricardo m’avoua qu’il était un des nombreux bâtards du Bondieu que ce dernier avait eu avec une prostituée.

Son sang avait le pouvoir de calmer ma soif pendant quelques années. Cette nuit-là, au lieu de le dévorer, je lui ai fait la plus belle suce de sa vie en remerciement.

Sans plus attendre, j’ai bravé les dangers de la mer pour retrouver ma Prune. Foutre qu’elle m’avait manqué. Malgré son âge avancé, je lui ai demandé de me pardonner et de m’épouser. À mon plus grand soulagement, elle accepta. Mon amour m’espérait également.

Nos huit années de mariage furent les plus belles années de ma vie. J’ai changé ses couches sans jamais détourner le regard. J’ai léché son dentier sans jamais ressentir du dégout, non, j’aimais profondément Prune Quenette. »

Henri, le vieil homme fut ému par l’histoire de la diablesse. Il pouvait mourir en paix en sachant qu’il avait assisté à l’amour véritable.  

— Comme je te l’ai raconté Henri, je fus repue pendant quelques années. Maintenant, je me délecte du sang de ceux qui ont des troubles psychiatriques.

Le vieil homme sourit en disant :

— Ma chère Péloponnèse, fais ce que tu as à faire. Tu as ma bénédiction.  

— Je t’en remercie Henri, mais avant, laisse-moi t’offrir la jouissance de toute une vie.

Tel un chouval twa pat, Henri invita la diablesse dans sa demeure. Entre deux hennissements, il mourut de bonheur en jouissant dans la koukoun de la diablesse. Puis comme convenu, elle le dévora avec appétit.

Valérie RODNEY


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Un commentaire pour “La diablesse de mes nuits”

  1. Trop belle plume, j’ai tout lu d’un coup!!!

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